L'art du pastel, de Millet à Redon

Ni tout à fait dessin ni tout à fait peinture, l'art du pastel est à la croisée des chemins de la création. Le bâtonnet de pastel concentre une couleur pure qui peut s’exprimer en aplats, être atténuée par l’estompe ou se révéler par la pureté d’un geste précis comme un simple trait. Grâce à l'exposition organisée par le musée d’Orsay nous en apprenons davantage sur ce médium adopté par les artistes au XVIIIe siècle, en particulier par les femmes.

Ce que l’on appelle « pastel » est un bâtonnet composé de pigments purs mélangés à de l’argile et à un liant, généralement de la gomme arabique. A l’origine ce sont les mêmes pigments qu’en peinture. L’énorme bénéfice du pastel est sa praticité. Cette technique prête à l’emploi n’exige ni préparation ni séchage. Idéal pour pratiquer hors de l’atelier.

L’exposition du Musée d’Orsay propose d’aborder seulement le travail du pastel sec ; le pastel gras est apparu plus tard, au début du XXe siècle grâce à l’association de Picasso et Sennelier. Le pastel gras contient de l’huile plutôt que de la gomme arabique et peut se travailler en dilution avec de l’essence de thérébenthine.

Le pastel sec est très volatile, sensible à la lumière et à l’humidité. D’office une oeuvre au pastel est protégée par un verre (sans être en contact direct) et doit rester à l’abri d’une forte luminosité.
La préoccupation majeure reste donc la conservation.
Les artistes utilisent depuis un fixatif pour travailler le pastel sec ; les différentes couches sont fixées au fur et à mesure de la réalisation.

Au XIXe siècle les artistes apprécient les pastels pour colorer les dessins au fusain. A l’époque ils ne disposent que de petits formats de papier fait de tissus de lin et de chanvre. Pour agrandir les formats, il fallait tout simplement coller des morceaux de papier bout à bout. Et le dessin finissait souvent par être marouflé sur une toile.
Pour préparer la surface et favoriser l’incrustation du pastel les artistes apposent généralement une poudre de pierre ponce mélangée à de la colle de peau.

A l’époque les artistes doivent aussi s’adapter à la taille des verres disponibles pour protéger les œuvres au pastel. De même, on ne connaissait pas le vernis tel qu’on le connaît aujourd’hui.
Il s’agit alors d’un vernis très dilué qui évolue sous l’influence de l’ingénieur A.J Loriot pour devenir un mélange de colle de poisson, d’eau tiède et d’esprit de vin. Le fixatif ainsi obtenu est pulvérisé en fin brouillard.

Le Docteur Henri Roché, pharmacien chimiste de formation, est un grand amateur d’art.  Il a travaillé à la conception de pastels en étroite collaboration avec Chéret et Degas. 
Une centaine de nuances sont validées en 1860, environ 1000 avant la première guerre mondiale.
La collection atteint 1650 tonalités dans les années 1930.

 

Rosalba Carriera L'inspiratrice

C’est grâce à cette artiste originaire de Venise que la France fut sensibilisée à l’art du pastel au XVIIIe siècle. Le passage de Rosalba Carriera à Paris en 1720 a fortement marqué les esprits. L’artiste soumet sa candidature pour entrer à l’Académie Royale de Peinture en présentant son portrait de Louis XV au pastel. Elle est acceptée ; à peine installée l’artiste reçoit un grand nombre de commandes de portraits par la noblesse. Elle n’a d’ailleurs pas pu les honorer toutes ce qui donna lieu à quelques querelles de jalousie.

Le pastel au service du portrait

Louise Breslau Portrait de Mademoiselle Adeline Poznanska enfant 1891 pastel sur papier H. 130,5 ; L. 76,5 cm
Portrait de Mademoiselle Adeline Poznanska enfant, Louise Breslau, 1891 pastel sur papier H. 130,5 ; L. 76,5 cm
L'art du pastel
Portrait de jeune femme en deuil, Pascal Dagnan-Bouveret, pastel sur papier gris bleu collé sur chassis entoilé, 1889
Emile Lévy Portrait de Marie de Heredia en 1887 pastel sur papier beige H. 118,5 ; L. 86,0 cm.
Portrait de Marie de Heredia, Emile Lévy, 1887 pastel sur papier beige H. 118,5 ; L. 86,0 cm.

Maurice Quentin De La Tour, Jean Siméon Chardin et Rosalba Carriera sont les premiers peintres au pastel connus. Ce médium convient parfaitement à l’art du portrait ; son rendu est très apprécié pour l’aspect velouté de la peau ainsi que pour les effets de matière et de lumière.

Les artistes du XIXe siècle réhabilitent naturellement le pastel pour réaliser des portraits grand format dans la pure tradition des commandes aristocratiques.
Les femmes sont séduites par cette technique, elles sont nombreuses à mener une carrière de pastelliste. La communauté s’élargit au point qu’une association se crée en 1885, la Société des Pastellistes de France. Une première exposition réunit de nombreux travaux du XVIIIe siècle dont 37 oeuvres de Maurice Quentin De La Tour ainsi qu’une trentaine de dessins de Jean-François Millet.
Le Musée d’Orsay a eu l’excellente idée de ressortir momentanément de l’ombre une série de tableaux emblématiques de ce genre nouveau.

L’exposition nous donne un aperçu du travail de l’artiste suisse Louise Breslau avec le portrait de Mlle Adeline Poznanska exécuté dans l’esprit de la tradition. Il y a aussi le portrait de Marie de Heredia par le Français Emile Lévy. Marie est la fille de l’un de ses amis et la compagne d’Henri de Régnier. L’histoire retient surtout qu’elle est la première femme à obtenir le prix de littérature de l’Académie française en 1918 (mais sous un nom d’auteur masculin, Gérard d’Houville).

L'art du pastel
Portrait de Madame Edma Pontillon, née Edma Morisot, soeur de l'artiste, 1871, pastel sur papier
Marie Bashkirtseff,
Portrait de Madame X, Marie Bashkirtseff, 1884, Pastel et papier sur fusain
Edouard Manet, Portrait de Madame Emile Zola, vers 1879, pastel sur toile et châssis,
Portrait de Madame Emile Zola, Edouard Manet, vers 1879, pastel sur toile et châssis
L'art du pastel
Louise Revillet dite Sarah Valanoff, par Antonio de la Gandara, 1888
Portrait d'Irma Brunner, Edouard Manet, vers 1880, pastel sur toile et châssis.
Portrait d'Irma Brunner, Edouard Manet, vers 1880, pastel sur toile et châssis.

Berthe Morisot, l’amie peintre et muse d’Edouard Manet, s’initie à l’art du pastel pendant le confinement de sa soeur Edma qui s’apprête à accoucher de son deuxième enfant. Le portrait d’Edma est remarquable, il témoigne de l’aisance et du talent de Berthe Morisot qui a vraisemblablement aimé cette technique puisqu’elle a réalisé 200 pastels au cours de sa carrière.
Le musée d’Orsay propose aussi de découvrir un portrait de Madame X par l’Ukrainienne Marie Bashkirtseff, rare tableau rescapé d’une oeuvre en partie détruite pendant la seconde guerre mondiale.
Edouard Manet attend les années 1880 pour s’intéresser aux pastels dans l’intention de réaliser des portraits de femmes. Son ami Edgar Degas lui a peut-être donné l’envie d’expérimenter. L’inconvénient est qu’il néglige la préparation des toiles, il les prépare comme en peinture à l’huile alors que ce n’est pas adapté à l’incrustation des pigments.  Cela dit, il réalise de pures beautés, comme le portrait d’Irma Brunner, qu’on a coutume de surnommer La Femme au chapeau noir.

L'exploration des grands espaces

L'art du pastel
Giovanni Segantini, Le Dernier Labeur du jour, 1891, pastel et fusain sur papier

A l’époque, les sujets d’étude se concentrent sur la vie urbaine, ses divertissements, ses loisirs, ses cafés. Les peintres répondent aussi aux nombreuses demandes de portraits par la bourgeoisie.
Sous l’impulsion de quelques uns, les pastels s’échappent toutefois des salons et des ateliers confinés.  

Avec Jean-François Millet notamment le pastel rejoint la campagne à la rencontre des paysans, des champs, des labeurs. Il est l’un des premiers peintres à utiliser le pastel pour illustrer ce thème qui lui est cher en pleine révolution industrielle.
Il y a de la nostalgie dans ces visions ; la réminiscence de quelque chose de fondamental qui nous constitue, le travail de la ferme et la pêche.  La Baratteuse de Millet est un grand format de plus d’un mètre qui évoque l’atmosphère des peintures hollandaises du XVIIe siècle.

Giovanni Segantini est inspiré par J.F Millet lorsqu’il restitue l’ambiance d’une fin de journée de travail en colorant légèrement son dessin au fusain avec quelques pastels. Le Dernier labeur du jour, dit aussi Porteurs de Fagot, exprime toute la charge physique ressentie.

L'art du pastel
La Baratteuse, JF Millet, vers 1866, pastel et crayon noir sur papier brun et châssis entoilé
L'art du pastel
La Femme au puits, vers 1866, J-F Millet, pastel et crayon noir sur papier beige
L'art du pastel
La petite gardeuse de porcs, Paul Gauguin, pastel sur paper beige, 1889

Le pastel s’échappe aussi vers le bord de mer, avec Gauguin qui l’utilise en Bretagne ; avec Piet Mondrian qui nous transporte à l’aube pour un départ à la pêche imminent. Le silence se lit jusque dans l’immobilisme de l’eau ; les pigments bleus sont d’un éclat sublime sur cette toile de 100 x 62 cm.
Plus je parcours l’exposition plus je suis gagnée par l’émotion. De près, le pastel vibre, il crée d’infimes subtilités, des effets de lumière inouïs. Avec l’artiste normand Fernand Legout-Gérard c’est comme si je pouvais me transposer dans son tableau, m’asseoir sur le rocher et éveiller tous mes sens à cette fin de journée. Le peintre s’est installé à Concarneau en 1903 et intégré un groupe d’artistes locaux. En soi ce tableau est un classique du genre, le thème des pêcheurs et des bretonnes en costume est beaucoup traité. 

L'art du pastel
Départ pour la pêche (Zuiderzee), Piet Mondrian, 1900, pastel, aquarelle et fusain sur papier
L'art du pastel
Port de pêche, Fernand Legout-Gérard, entre 1856 et 1924, pastel sur papier et collé sur châssis entoilé

Le pastel est pratique pour saisir le monde en mouvement. Il permet d’aller vite pour capturer l’inconstant par quelques aplats de couleurs et traits. C’est un outil génial pour l’observateur du quotidien. Il est parfaitement adapté au travail en plein air. Pour saisir les ciels furtifs, la danse des nuages, les effets de lumière.
Les impressionnistes qui étaient souvent itinérants, appréciaient le pastel pour sa facilité d’usage. Monet en avait par exemple apporté avec lui lorsqu’il a visité Londres en 1899. Le pastel est très pratique pour les esquisses. Monet, Morisot, Boudin, Renoir l’adoptent aussi pour capter les atmosphères fugitives.
Delacroix et Boudin avaient pris le pli de réaliser leurs études au pastel de même que les pastellistes Pierre Prins, Ernest Duez et Henri Gervex ont fait du motif capté en plein air leur fil rouge.

L'art du pastel
Pierre Prins, Ciel breton au Pouldu, 1892, pastel sur papier gris
L'art du pastel
Ernest Duez, Paysage, 1885, pastel sur papier

Magnifique rendu du ciel breton par Pierre Prins ; dans le sillage d’Eugène Boudin il rend les nuages cotonneux en miroir sur la mer. Ernest Duez a pour sa part tellement aimé la côté normande qu’il a acquis un atelier doté d’une verrière à Villerville pour y travailler toute l’année.

Les leçons de Degas, maître pastelliste

Edgar Degas est considéré comme le pastelliste majeur du XIXe siècle. Il se passionne pour les travaux de Maurice Quentin De La Tour et les collectionne. La technique du pastel est pour lui un sérieux sujet d’études. Pour ce peintre obsédé par le mouvement des corps, le pastel répond parfaitement à la possibilité d’expérimenter rapidement un motif. C’est dans cet état d’esprit qu’il prend l’habitude de se poser dans les coulisses de l’Opéra pour enchaîner les croquis des petites danseuses. Degas a été surnommé « le peintre des danseuses » car pas moins de 1 500 œuvres illustrent les ballerines. Pure préoccupation artistique selon les confessions du peintre à son ami Amboise Vollard : « On ne comprend pas que la danseuse a été pour moi un prétexte à peindre de jolies étoffes et à rendre des mouvements. »
De ces heures créatives à l’Opéra est né aussi un grand format qui fait poser ses deux plus proches amis.

L'art du pastel
Danseuse assise, Edgar Degas, entre 1881 et 1883, pastel sur papier marron contrecollé sur carton
L'art du pastel
Deux danseuses au repos, Degas, vers 1910, pastel et fusain sur papier
L'art du pastel
Danseuses, Degas entre 1884 et 1885
L'art du pastel
Deux danseuses au repos, Edgar Degas,1898, pastel sur papier beige et châssis entoilé
L'art du pastel
Ludovic Halevy et Albert Boulanger-Cavé dans les coulisses de l'Opéra, Degas, 1879, détrempe et pastel sur papier

« On ne comprend pas que la danseuse a été pour moi 

un prétexte à peindre de jolies étoffes et à rendre 
des mouvements. »

Edgar Degas

La méthode de Degas au pastel est loin d’être simple. Puisqu’il a beaucoup expérimenté, il est parvenu à élaborer des techniques mixtes. Il associait détrempe (un mélange d’oeuf et de pigment), pastel, gouache ou peinture à l’huile (dégraissée car sinon l’huile détruit le papier).
La poudre pouvait aussi être déposée au pinceau ou à la brosse après une projection de vapeur d’eau bouillante. Une autre astuce de Degas était de recourir à des calques pour reporter rapidement des motifs au pastel sur la toile ou le papier. Tout comme il aimait colorer au pastel ses dessins au fusain il aimait colorer ses monotypes. Les monotypes sont des dessins réalisés à l’encre grasse sur une plaque de métal puis imprimés.

Degas était un reporter du quotidien, il percevait son environnement à la manière d’un journaliste. Il a passé du temps avec les travailleuses (repasseuses, blanchisseuses) et de ses observations ont découlé des tableaux qui font écho aux préoccupations sociales d’Emile Zola. Degas s’intéresse au monde du travail et à ses ouvrières sans porter de jugement. Il se contente de partager un regard.

Les scènes de toilette constituent un volet central du travail de Degas. C’est l’une des séries les plus touchantes. La peau humaine n’a plus cet aspect velouté dont raffole le XVIIIe siècle, ici elle vibre, elle grésille. Le cadrage aussi est innovant, il crée le sentiment d’une capture d’intimité. On voit si peu les visages. Degas nous fait partager la posture du discret observateur de l’intime.

L'art du pastel
La repasseuse, Degas, 1869, fusain, craie blanche,pastel
L'art du pastel
Chez la modiste, Degas, vers 1905-1910
L'art du pastel
Femme à sa toilette essuyant son pied gauche, Degas, en 1886, pastel sur carton
L'art du pastel
Baigneuse allongée sur le sol, 1886-1888 Edgar Degas (1834-1917) Pastel sur papier beige. Oeuvre récupérée après la seconde guerre mondiale.
L'art du pastel
Femme nue debout, Edgar Degas, entre 1880 et 1883, pastel et fusain sur papier bleu-vert
L'art du pastel
Après le bain, femme nue s'essuyant la nuque, Degas, 1898, pastel sur papier vélin fin collé sur carton

Captation(s) intime(s)

Le flou caractéristique du pastel pouvait apporter une vibration qui était très recherchée.
A mesure que l’exposition progresse les oeuvres sont signées par des peintres symbolistes.
Ces tableaux sont plus éthérés, aériens, comme s’ils convoquaient la présence de l’invisible.

Lucien Lévy-Dhurmer nous partage sa vision onirique du Lac Léman. L’eau et les montagnes se rejoignent et finissent par se fondre dans une lumière bleutée. De même sa vision des Calanques de la Côte d’Azur prend une dimension mystique. 
Lucien Lévy-Dhurmer est l’un des pastellistes les plus fascinants de la période, il se fait connaitre à 17 ans alors qu’il prend des cours de dessin à Paris. Avant d’être pastelliste il est céramiste et peintre.
Lévy-Dhurmer est rattaché au symbolisme, un groupe d’artistes dont la quête de spiritualité les anime en profondeur. Les symbolistes se détachent du réalisme et s’adressent à l’inconscient, ils suggèrent le rêve et le mystère en allant chercher de l’inspiration dans la mythologie et la littérature.

Lucien Lévy-Dhurmer,
Lucien Lévy-Dhurmer, La Calanque, 1936, pastel sur papier et châssis entoilé
Lucien Lévy-Dhurmer, Le Lac Léman, 1925,
Lucien Lévy-Dhurmer, Le Lac Léman, 1925, pastel

Le pastel a une fleur, un velouté, comme une liberté de délicatesse et une grâce mourante que ni l'aquarelle ni l'huile ne pourront atteindre."

Joris Carl Huysmans

En 1896 Lévy-Dhurmer participe à une exposition collective des Peintres de l’âme mise en place par la revue l’Art et la Vie. Il y a aussi Edmond Aman-Jean, Émile-René Ménard, Alphonse Osbert, Carlos Schwabe (l’illustrateur des Fleurs du Mal de Baudelaire), Émile Gallé et Alexandre Séon.
Une rencontre décisive avec le poète Georges Rodenbach va permettre au jeune peintre d’exposer de manière plus conséquente. Grâce à lui il expose en Galerie ses premiers tableaux (Bourrasque, Mystère, Le Silence, Eve, Portrait de Georges Rodenbach…). Il attire la sympathie de Peladan, Gustave Moreau, Emile Bernard. Même s’il se rapproche de l’esthétique symboliste de La Rose Croix, il ne participera pas à ses Salons.

Lucien Lévy-Dhurmer Portrait de Georges Rodenbach vers 1895 pastel sur papier
Lucien Lévy-Dhurmer, Portrait de Georges Rodenbach vers 1895, pastel sur papier

L’exposition poursuit avec des scènes d’intérieur, des nus, où le pastel révèle toute sa grâce, toute sa subtilité pour rendre le velouté de la peau. Les artistes utilisent l’estompe pour un aspect lumineux et poudreux. En revanche, nous avons vu que Degas se démarque de cela en invoquant le trait sous toutes ses formes et des couleurs plus vives.

Edmond Aman-Jean, Farniente
Edmond Aman-Jean, Farniente, vers 1895, pastel sur papier gris-beige
Emile René Ménard, Etude de nu dans un interieur, entre 1862 et 1930
Emile René Ménard, Etude de nu dans un interieur, entre 1862 et 1930, pastel sur papier collé sur châssis entoilé
Maurice Denis, Nu, femme assise, de dos, en 1891, pastel et fusain sur papier
Maurice Denis, Nu, femme assise, de dos, en 1891, pastel et fusain sur papier.

Les intérieurs, ce sont aussi les portraits ; ils ont évolué, même dans le cadre de la Bourgeoisie de la fin du XIXe siècle. Les portraits se font plus intimes, moins formels, ils témoignent davantage d’un état d’âme.
On retient le pénétrant tableau d’Eugène Loup, Mélancolie. Le peintre était reconnu pour travailler sur le thème de la solitude. Cette jeune femme mélancolique semble happée par son intérieur.
Autre curiosité, un tableau de Paul Helleu. L’écrivain Edmond de Goncourt dit d’Alice Helleu qu’elle inspirait énormément son mari Paul : « elle ne pouvait faire un mouvement qui ne fut de grâce et d’élégance et dix fois par jour il s’essayait à surprendre ces mouvements dans une rapide pointe sèche. »

Odilon Redon, Madame Redon brodant, en 1880, pastel sur papier, H. 58,0 ; L. 42,0 cm
Odilon Redon, Madame Redon brodant, en 1880, pastel sur papier, H. 58,0 ; L. 42,0 cm
Marguerite Cahun dans l'appartement du boulevard Raspail, en 1910, pastel sur papier
Marguerite Cahun dans l'appartement du boulevard Raspail, en 1910, pastel sur papier marouflé sur toile, avec cadre H. 54,8 ; L. 45,7 cm
Eugène Loup, Mélancolie, vers 1901, pastel sur toile, H. 104,0 ; L. 90,0 cm.
Eugène Loup, Mélancolie, vers 1901, pastel sur toile, H. 104,0 ; L. 90,0 cm.
Paul Helleu, Madame Paul Helleu, en 1894
Paul Helleu, Madame Paul Helleu, en 1894, pastel sur papier bleu, H. 48,4 ; L. 30,5 cm

Au-delà du visible

Dans l’ultime salle de l’exposition, Odilon Redon et Lucien Levy Dhurmer expriment une réalité intérieure particulièrement féconde.  Odilon Redon est une figure forte du symbolisme. Il est d’abord connu pour ses dessins noir et blanc, fusains intenses convoquant l’imaginaire et la mélancolie. Dans une seconde période, il se munit de pastels colorés et recherche les techniques mixtes (fusains, crayons et pastels). 
Paul Gauguin écrit à Redon en 1890 :
« De vous j’ai un souvenir dans ma tête de tout ce que vous avez fait et une étoile ; en la voyant dans ma case à Taiti, je ne songerai pas à la mort, mais au contraire à la vie éternelle, non la mort dans la vie mais la vie dans la mort. En Europe, cette mort avec sa queue de serpent est vraisemblable mais à Taiti, il faut la voir avec des racines qui repoussent avec des fleurs. »

Les peintures de Redon sont chargées d’un symbolisme mystique. L’art symboliste cherche à redonner à l’art un fondement métaphysique. « Nous cherchons la Vérité dans les lois harmonieuses de la Beauté, déduisant de celle-ci toute métaphysique – car l’harmonie des nuances et des sons symbolise l’harmonie des âmes et des mondes » écrit Charles Morice, écrivain et poète.
Cette nature qui nous fait saisir des correspondances mystérieuses est la porte d’entrée au symbolisme et au mysticisme. Le tableau devient alors le lieu d’une nécessité intérieure. On parle de transcendantale émotivité qui fait vibrer l’âme humaine. Ce sont les romantiques qui se sont emparés du symbole pour en faire un élément majeur de la pensée de l’art. Il ne s’agissait plus d’imiter la nature mais de pénétrer en soi-même, d’exploiter cette source créatrice en soi pour chercher à exprimer l’indicible.

Le Bouddha de Redon n’est pas une adhésion, le peintre souhaite plus que tout que son art soit ouvert et non déterminé. « J’ai fait quelquefois Vénus ou Apollon sans vouloir que l’on soit païen ; j’ai aussi fait le Bouddha ; et cette image, en son symbole, émeut encore les coeurs d’une part innombrable de l’humanité, et ces sujets (si sujets il y a) me sont aussi sacrés que les autres. »

Vibration à nouveau toute mystique dans le tableau Femme voilée debout, lequel semble correspondre au pastel nommé Le Chemin ardent et consigné par Redon dans ses écrits : « une femme dans un paysage, une sorte de buisson de feu, à terre devant elle. » 
L’un des tableaux les plus célèbres de Redon est La Coquille ; le peintre s’est inspiré d’un coquillage des Seychelles ramené par un ami. On a fait de cette coquille, surgie des fonds marins telle Vénus, un symbole du sexe féminin.

Odilon Redon Le Bouddha entre 1906 et 1907
Odilon Redon Le Bouddha entre 1906 et 1907 pastel sur papier beige H. 90,0 ; L. 73,0 cm.
Odilon Redon Femme voilée debout entre 1840 et 1916 pastel, mine de plomb, crayon noir sur papier beige H. 49,2 ; L. 40,0 cm.
Odilon Redon Femme voilée debout entre 1840 et 1916 pastel, mine de plomb, crayon noir sur papier beige H. 49,2 ; L. 40,0 cm.
Copier la légende Odilon Redon Le Char d'Apollon vers 1910
Odilon Redon, Le Char d'Apollon vers 1910 pastel et détrempe sur toile H. 91,5 ; L. 77,0 cm.

Le tableau devient le lieu d'une nécessité intérieure.
On parle de transcendantale émotivité qui fait vibrer
l'âme humaine.

Odilon Redon Parsifal 1912 pastel sur papier
Odilon Redon Parsifal 1912 pastel sur papier H. 64,0 ; L. 49,0 cm.
Odilon Redon La Coquille 1912 pastel sur papier
Odilon Redon La Coquille 1912 pastel sur papier H. 52,0 ; L. 57,8 cm.

Au coeur d’un XIXe siècle bouleversé par la crise du sens et la perte d’une vie en harmonie avec la nature, des artistes rejoignent le monde des idées et des paradis perdus.  Alphonse Osbert est aussi fascinant à sa manière, il recherche la simplicité même, le grand silence. Il développe une vision mystique habitée de muses.
Sa rencontre avec Puvis de Chavannes a été déterminante dans l’évolution de son art ; Alphonse Osbert aspire à un art spirituel, il recherche le silence et la diffusion d’une lumière sacrée.

Alphonse Osbert Au bord de la mer en 1926 pastel sur papier gris contrecollé sur carton H. 64,0 ; L. 46,5 cm.
Alphonse Osbert Au bord de la mer en 1926 pastel sur papier gris contrecollé sur carton H. 64,0 ; L. 46,5 cm.
Alphonse Osbert Muse allongée sous les arbres vers 1910
Alphonse Osbert Muse allongée sous les arbres vers 1910 pastel sur papier gris H. 20,0 ; L. 36,0 cm.
Alphonse Osbert Au bord de la mer en 1926 pastel sur papier gris contrecollé sur carton H. 64,0 ; L. 46,5 cm.

Naturellement, nous retrouvons aussi Lucien Lévy-Dhurmer et ses visions teintées de mystère.
Le Silence est un tableau duquel le peintre ne se séparera jamais. Il s’inspire d’une sculpture d’Auguste Préault et en porte le même nom.
Le critique d’art Achille Ségard écrit à propos de ce tableau : « L’impression générale est la même que celle que donnent les sphinx accroupis depuis des milliers d’années dans le désert immense et vague. »
Méduse est une autre oeuvre marquante où le peintre s’empare du mythe de la Gorgone pour suggérer la transformation, la métamorphose, de la vie à la mort…?
La Sorcière est une oeuvre préparatoire à un relief en bronze, elle est restée inachevée.
La Femme à la médaille est l’un des tableaux les plus mystérieux de Lévy-Dhurmer, à la fois par le geste de bénédiction de cette femme et son regard orienté vers des inscriptions énigmatiques.

Lucien Lévy-Dhurmer Le Silence 1895 pastel H. 54,0 ; L. 29,0 cm.
Lucien Lévy-Dhurmer Le Silence 1895 pastel H. 54,0 ; L. 29,0 cm.
Lucien Lévy-Dhurmer La Sorcière 1897
Lucien Lévy-Dhurmer La Sorcière 1897 pastel sur papier H. 61,0 ; L. 46,0 cm.
Lucien Lévy-Dhurmer Méduse 1897 pastel et fusain sur papier
Lucien Lévy-Dhurmer Méduse 1897 pastel et fusain sur papier contrecollé sur carton H. 59,0 ; L. 40,0 cm.
Lucien Lévy-Dhurmer La Femme à la médaille 1896 pastel et rehauts d'or sur papier
Lucien Lévy-Dhurmer La Femme à la médaille 1896 pastel et rehauts d'or sur papier contrecollé sur carton H. 35,0 ; L. 54,0 cm.

C’est dans une atmosphère toute mystérieuse que se clôt cette belle exposition dédiée à la technique du pastel. C’est un hommage largement mérité car ce médium délicat n’est pas toujours reconnu à sa juste valeur.
+ d’infos : Musée d’Orsay, Paris

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